Diabolisation des matières grasses : un complot agro-industriel ?

Nous avons vu dans les chapitres précédents que les glucides ont trusté le podium des recommandations officielles émises par les Etats-Unis, au détriment des lipides (matières grasses), sous l’impulsion d’un lobby, la Fondation internationale pour la recherche sucrière (ISRF, International Sugar Research Foundation).

Pour cela, les pouvoirs publics ont fondé leurs recommandations sur l’Etude des 7 pays d’Ancel Keys, qui corrélait la consommation de matières grasses avec un fort taux de maladies cardiovasculaires.

Retrouvez ce chapitre de l’alimentation idéale pour le genre humain au format PODCAST :

De son côté, John Yudkin, ennemi juré d’Ancel Keys, accusait quant à lui le sucre d’être à l’origine des maladies émergentes de civilisation comme l’obésité ou les maladies cardiovasculaires. Mais sa théorie ne fut pas prise au sérieux à l’époque.

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Sauf que bien plus tard, il a été prouvé que l’Etude des 7 pays était biaisée. Ancel Keys avait volontairement choisi les populations qui corroboraient sa thèse, et écarté les pays qui ne montrait pas de lien entre consommation de matières grasses et fort taux d’infarctus.

Ancel Keys n’a pas été le seul déclencheur. La Fondation internationale pour la recherche sucrière, principal lobby de l’industrie sucrière, aidée par les firmes céréalières, n’a pas lésiné sur les moyens afin de faire du sucre et des glucides un élément indispensable de l’alimentation humaine.

La meilleure défense, c’est l’attaque. Et c’est ainsi que les défenseurs du sucre allaient désigner un coupable tout trouvé : les matières grasses.

Note : cet article constitue l’un des chapitres du Guide de l’alimentation Blooness, un guide destiné à réunir les ingrédients de l’alimentation idéale pour le genre humain.

La chasse aux lipides est ouverte

En 1967, trois chercheurs d’Harvard, Robert McGandy, David Mark Hegsted et Frederick Stare, publièrent cet article dans le célèbre journal New England Journal of Medecine (NEJM), qui incriminait les acides gras dans la survenue d’événements cardiovasculaires. Selon eux, l’unique moyen de prévenir les maladies cardiovasculaires était de réduire la consommation de cholestérol et de graisses saturées.

David Mark Hegsted

Seul bémol, il a été prouvé beaucoup plus tard que l’ISRF, la fameuse Fondation internationale pour la recherche sucrière, avait payé ces scientifiques environ 6500$ (soit 48 900$ en 2016 avec l’inflation) pour rédiger ces conclusions.

Or, David Mark Hegsted devint par la suite directeur de l’USDA, le Département de l’Agriculture des États-Unis, où il a participé en 1977 à la rédaction de ce qui allait devenir les directives nutritionnelles du gouvernement fédéral américain.

 

Le livre blanc de l’industrie du sucre

Le lobby du sucre édita en 1975 un livre blanc, intitulé « Le rôle du sucre dans l’alimentation moderne ». L’objectif de ce document était de contrer ce que John Tatem Jr – le président de l’ISRF – appelait « les ennemis du sucre ».

Pour populariser leurs thèses, les lobbyistes envoyèrent en ligne de front médiatique Frederick Stare, l’un des trois chercheurs corrompus qui incriminaient les acides gras dans la survenance de maladies cardiovasculaires. Les comptes-rendus de l’association du sucre rapportent ainsi que Stare était chargé de promouvoir le sucre dans des émissions de télévision et dans plus de 200 stations de radios.

Le livre blanc fût d’ailleurs adoubé par la FDA (Food and Drug Administration), l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments, dont le président, George Irving, n’était autre qu’un ex-membre du conseil consultatif de l’industrie sucrière.

Et même si les conflits d’intérêt de Stare furent révélés dans un rapport rédigé par le Centre pour la Science datant de 1976, intitulé « Professeurs pris la main dans le sac », il était trop tard pour faire marche arrière, le rouleau compresseur médiatique était lancé, et le gras devenait l’ennemi public numéro 1.

 

Le sucre reconnu comme « sans danger »

L’administration Nixon demanda à la FDA (Food and Drug Administration) d’analyser si le sucre était sans danger. Pour cela, on fit appel à la Fédération des sociétés américaines de biologie expérimentale, constitué de onze membres. Or, la mission était dirigée par notre fameux George Irving, qui avait occupé pendant deux ans la direction scientifique de la Fondation Internationale pour la recherche sucrière (ISRF).

Dr. George W. Irving lors de la Sugar Research Foundation Scientific Advisory Board, Juillet 1967.

Des documents internes montrent par ailleurs qu’un autre membre du comité, Samuel Fomon, avait reçu des financements de l’industrie du sucre au cours des trois années précédentes.

Outre ces conflits d’intérêt, le comité se basa principalement sur le livre blanc de l’association controversée, ainsi que sur d’autres travaux des mêmes auteurs.

Dans le chapitre consacré aux maladies cardiaques, 11 études sur 14 présentaient un conflit d’intérêt lié à l’industrie du sucre. Cinq études avaient été rédigées par Francisco Grande, un proche de Keys, et trois étaient signées Edward Bierman, le scientifique anti-gras.

En janvier 1967, le comité rendit ses conclusions :

  • Le sucre ne contribue pas un risque pour le grand public
  • Le lien avec le diabète s’avérait indirect
  • Le lien avec avec les maladies cardiovasculaires étaient plus qu’incertains
  • En revanche, il était admis que le sucre contribuait probablement au développement de caries dentaires

Mais qu’à cela ne tienne.

En ce qui concerne la survenance des caries, le lobby de l’industrie du sucre a également influencé l’Institut National de Recherche Dentaire pour qu’ils travaillent sur le traitement des caries plutôt que sur les mesures pour réduire l’utilisation du saccharose.

Les conclusions de ce rapport furent médiatisées et Tatem, président de l’ISRF promit de les « diffuser aux quatre coins du pays », tandis que l’USDA, le Département de l’Agriculture des États-Unis, publia ses recommandations nutritionnelles officielles, en s’appuyant sur une analyse rédigée par Bierman, proche d’Ancel Keys. Elles préconisaient tout de même d’éviter l’excès de sucre, sans apporter de détails supplémentaires.

Les conséquences de ces recommandations en faveur des sucres, et en défaveur des lipides, eurent des conséquences néfastes sur la santé de plusieurs générations d’occidentaux, selon certains scientifiques.

 

En effet, à partir des années 80, les Américains ont réduit la part des graisses dans leur alimentation, et se sont mis à consommer des glucides à la place. Du sucre, des céréales, du pain, et surtout des pommes de terre. Beaucoup de pommes de terre. Les glucides constituent ainsi plus de 50% des apports à partir des années 2000.

Quand on compare la courbe de l’obésité aux Etats-Unis, à celle de la consommation de glucide, on remarque une corrélation flagrante. Y a-t-il un lien de cause à effet ? Le fait de manger trop de sucre, et plus généralement trop de glucides, revient-il à faire du gras ? C’est la question à laquelle nous allons répondre dans la suite de ce guide.

Mais avant d’attaquer les problématiques d’ordre scientifique, qu’est devenue l’industrie du sucre aujourd’hui ? Y a-t-il encore un lobby qui agit contre l’intérêt sanitaire des populations ?

 

Le lobby du sucre aujourd’hui

Les auteurs des recommandations officielles de 2010 de l’USDA (le Département de l’Agriculture des États-Unis), citent deux notes montrant que les sodas sucrés ne sont pas cause d’obésité chez l’homme.

La première était rédigée par Sigrid Gibson, une consultante en nutrition qui compte parmi ses clients le Sugar Bureau, l’équivalent britannique de la Sugar Association, et la World Sugar Research Organization, qui n’est autre que l’ex-ISRF. La seconde note était signée Carrie Ruxton, qui avait dirigé le pôle recherche du Sugar Bureau de 1995 à 2000.

Or, le Sugar Bureau est une organisation britannique financée par l’industrie du sucre, créée en 1964 pour améliorer «la connaissance et la compréhension des contributions du sucre et d’autres glucides à une alimentation saine et équilibrée».

En 2003, l’OMS tenta d’émettre une nouvelle recommandation, selon laquelle les sucres ajoutés ne devraient pas représenter plus de 10% des calories absorbées, soit 40% de moins que les estimations d’un Américain moyen.

Le président alors en poste de l’Association du sucre, Andrew Briscoe, depuis reconverti en vice-président d’une société d’immobilier, écrivit au directeur de l’OMS pour l’avertir qu’il « inciterait le Congrès américain à remettre en cause le financement futur » de l’OMS.

Andrew Briscoe

Les sénateurs Larry Craig et John Breaux, coprésidents du comité du Sénat sur les édulcorants, écrivirent au secrétaire d’Etat à la santé Tommy Thompson afin d’empêcher que le rapport de l’OMS ne devienne la position officielle de l’organisation internationale.

Ce rapport de l’OMS n’eut effectivement aucune influence sur les recommandations alimentaires de 2004.

Chapitre suivant : le retour en grâce du gras.
Chapitre précédent : La chasse aux matières grasses par le lobby agro-industriel

Une réponse

  1. Article très instructif qui met des jalons pour comprendre l’évolution des politiques publiques qui n’ont pas été en faveur de LA SANTE PUBLIQUE

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